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1983 : la guerre du poulet débute entre les éleveurs français et brésiliens

1983 : la guerre du poulet débute entre les éleveurs français et brésiliens

Une partie des agriculteurs se mobilisent pour dénoncer la concurrence déloyale que fait peser sur eux l’accord du Mercosur, avec, en toile de fond, la crainte d'une casse sociale. La concurrence internationale a débuté bien avant le lancement de la réflexion sur le Mercosur en 1999. Dès les années 1980, les éleveurs de volailles dénonçaient une concurrence déloyale avec le Brésil utilisant un argumentaire assez proche de celui d'aujourd'hui.

Par Florence Dartois - Publié le 19.11.2024
Le poulet français en crise - 1983 - 02:20 - vidéo
 

L'ACTU.

Les agriculteurs français se mobilisent en masse pour dénoncer la négociation d'un accord de libre échange de l'Union européenne avec le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay, Chili). Un accord débattu depuis 1999 qui vise à faciliter les échanges commerciaux entre les deux zones, mais qui pourrait supprimer une grande partie des droits de douane entre l’Europe et les pays d’Amérique du Sud. Cela concernerait 40 à 45 milliards d'euros d'importations et exportations.

De nombreux agriculteurs ont choisi la date symbolique du 18 novembre 2024, marquée par l’ouverture du G20 au Brésil pour rejoindre les ronds-points, bloquer des routes et déverser du fumier devant les préfectures. Certains menacent de bloquer l'approvisionnement du Sud-Ouest de la France pour être entendus. Parmi les mécontents, les producteurs de volailles français soumis à des normes de production plus strictes que celles de leurs concurrents. C'est ce qu'expliquait le 18 novembre au micro d'Europe 1 Jean-Michel Schaeffer, le président de l’association ANVOL (l'interprofession de la volaille de chair) : « Aujourd’hui, un quart des filets de poulet consommés en Europe sont importés. Ce projet viendrait porter le coup de grâce à une filière déjà inondée, estime le représentant des éleveurs de volaille français. Le pays dont on en importe déjà le plus, c’est le Brésil : 400 000 tonnes aujourd’hui. L’accord viendrait encore ajouter 180 000 tonnes de filets de poulet supplémentaires », déplorait-il.

Le Brésil est dans le viseur des éleveurs français depuis plusieurs décennies, bien avant qu'il soit question du Mercosur. C'était déjà le cas en 1983, alors que la France était encore la deuxième exportatrice mondiale de volailles, derrière les États-Unis. Pourtant, la crise menaçait déjà. C'est ce que relate l'archive disponible en tête d'article. Elle est datée du 15 janvier 1983 et a été diffusée dans le 20 heures de TF1.

L'ARCHIVE.

« Les producteurs bretons de poulet sont inquiets. Les sociétés d'abattage et de commercialisation avec lesquelles ils travaillent connaissent de grandes difficultés à l'exportation. La France, deuxième producteur mondial de poulet, se heurte actuellement à une concurrence internationale très rude. » Le reportage nous apprend qu'à l'époque les éleveurs bretons, surnommés les mousquetaires, exportaient 90 % des volailles françaises, « avec un tonnage de 340 000 tonnes de poulets congelés par an, soit trois milliards de francs en devises. ». Cela représentait des milliers d'emplois et environ 2 000 éleveurs, mais leur activité s'était réduite de 25 % en quelques mois seulement et ils disposaient d'un excédant de 50 000 tonnes de volailles dans leurs frigos.

Le Brésil prend son envol en matière d'élevage

Le journaliste s'interrogeait : « Comment est apparue la crise ? ». La réponse venait déjà d'Amérique du Sud. Face aux Français, de l'autre côte de l'Atlantique, les producteurs brésiliens représentaient leurs principaux concurrents. S'ils employaient alors les mêmes méthodes d'élevage et d'abattage, ils bénéficiaient d'un avantage de poids : « la nourriture soja et maïs est produite sur place. La main d'œuvre est infiniment moins chère et l'exportation subventionnée par l’État. »

Une grande question se posait : « Comment se battre contre le poulet brésilien ? » Voilà ce que préconisait le commentaire, « en planifiant et en modérant notre production, c'est certain. En arrêtant la construction de nouveaux poulaillers, en accordant des aides bancaires particulièrement aux stocks et aussi, bien sûr, en trouvant de nouveaux marchés ».

À l'époque, les exportateurs français demandaient l'intervention des pouvoirs publics. Mais Édith Cresson, la ministre l'Agriculture restait très ferme, déclarant que, certes, on devait les aider, mais que ce n'était pas à l’État de payer.

Bien que « la guerre du poulet » soit engagée, la filière française restait relativement compétitive. Et le journaliste de conclure avec optimisme : « Les Brésiliens ont des atouts pour se battre, mais la qualité de leurs produits n'est pas la même. Le coût de transport non plus. Entre Brest et le Koweït, les bateaux chargés de poulets ne mettent que quinze jours. Pour aller de Rio de Janeiro au Golfe Persique, il faut compter 75 jours de traversée. »

40 ans après ce sujet, les éleveurs dénoncent toujours la mauvaise qualité de la volaille brésilienne. Si les coûts de production sont plus faibles, c'est aussi parce que les éleveurs brésiliens peuvent utiliser des produits interdits en France (maïs OGM). Les poulets sont boostés aux hormones et nourris aux antibiotiques de croissance. Ces « produits », s'ils coûtent moins cher à produire que la volaille française, sont peut-être aussi moins bons pour la santé.

Enquête sur la production brésilienne de poulets en 2007

Le magazine « Thalassa » proposait en 2007 un reportage sur l'élevage de poulets dans l'état du Rio Grande do Sul, au sud du Brésil, où s'était développé l'élevage intensif de volailles. Celles-ci étaient exportées vers le monde entier transitant par le port de Rio Grande en pleine expansion. Mais il ne s'agissait pas d'une entreprise brésilienne, il s'agissait d'un élevage de poulets industriels du groupe français Charles Doux dont le siège est situé à Châteaulin, en Bretagne, qui avait implanté des élevages et des usines dans la région pour bénéficier de coûts de production moindres.

« La volaille, c'est de la céréale sur pattes ». Dans ce même reportage, le PDG français expliquait, avec un certain cynisme, la politique de production de l'entreprise Doux au Brésil : qualité, quantité, productivité, compétitivité. Suivait la description en images du fonctionnement de l'usine de Monte-Negro de préparation de poulets. Ici les poulets étaient abattus après 31 jours. Un fonctionnement au cordeau avec des ouvriers payés cinq fois moins qu'en France, sans aucun avantage. Trente à quarante containers partaient chaque jour vers le monde entier et la France.

« Retour en France, en Bretagne, où les poulaillers ont fermé leurs portes (…) l'industrie de la volaille s'est mondialisée (...) la Bretagne n'est plus la seule terre des poulets au grand dam des petits éleveurs ». Face à ce modèle ultra-compétitif, le magazine «Thalassa » donnait aussi la parole à un éleveur français des Côtes-d'Armor dont les méthodes d'élevage tranchaient avec celles de ses concurrents brésiliens. Exemple de René Louail (Confédération paysanne), chez lui les poulets partaient entre 80 et 85 jours (contre 30 au Brésil) et ils gambadaient dans les champs.

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