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Il y a 70 ans, la France pleure Colette

Il y a 70 ans, la France pleure Colette

Le 3 août 1954, Colette meurt à Paris. Célébrée de son vivant, sa disparition provoque un retentissement médiatique. Elle reçoit des funérailles nationales, une première pour une femme. 

Par Léa Beaudufe-Hamelin - Publié le 02.08.2024
Les obsèques de Colette - 1954 - 02:00 - vidéo
 

« La mort ne m’intéresse pas, la mienne non plus », écrit Colette dans La Naissance du jour, en 1928. L’autrice aurait-elle pu prédire que vingt-six ans plus tard, elle deviendrait la première femme à recevoir des obsèques nationales ? Au soir du 3 août 1954, à 81 ans, Sidonie-Gabrielle Colette s’éteint dans son appartement parisien qu’elle ne quittait plus, percluse d’arthrite. « Derrière ces trois fenêtres hier encore ouvertes sur le Palais-Royal, il n’y a plus rien. Colette est morte », annonce la voix des « Actualités françaises », dans l’archive en tête d’article.

La femme de lettres, tour à tour journaliste, danseuse de music-hall et même patronne d’un institut de beauté, y est présentée comme « l’auteur de tant de livres qui lui avaient acquis de son vivant tout à la fois la gloire littéraire et la gloire officielle ». La native de Saint-Sauveur-en-Puisaye dans l’Yonne (89) est alors une autrice reconnue. Ce que confirme pour l'INA, Samia Bordji, directrice du Musée Colette et responsable du centre d’études Colette : « Au moment de sa mort, elle est considérée comme le plus grand écrivain français vivant. »

Présidente de l’Académie Goncourt à partir de 1949, élue à l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique en 1935, Colette devient Grand officier de la légion d’honneur l’année précédant sa mort, en 1953. « Consécration d’une vie littéraire à qui nous devrons tant de figures émouvantes, depuis Claudine jusqu’à Gigi », peut-on entendre dans l’archive ci-dessous.

L’annonce de sa mort retentit partout en France. « C'est un événement, un petit tremblement de terre rempli d'émotions pour toute la nation. Le pays entier prend le deuil », relate Samia Bordji. Les journaux de l’époque diffusent la nouvelle en une. « Un grand écrivain disparaît », titre Le Monde. L’Est républicain salue « le plus grand écrivain féminin de notre époque ».

Capture d'écran BnF, Gallica.

 L’Est républicain, numéro du 5 août 1954, annonce en une la mort de Colette, la « Grande Dame des Lettres ».

Capture d'écran BnF, Gallica.

 L’Est républicain, numéro du 5 août 1954, annonce en une la mort de Colette, la « Grande Dame des Lettres ».

Ce retentissement médiatique dépasse les frontières françaises. « Aux quatre coins du monde, on a annoncé la mort de Colette, atteste Samia Bordji. Au Japon, en Australie, en Allemagne, en Angleterre, en Espagne, en Italie, au Brésil et aux États-Unis où le New York Times avait titré : "Mort de la femme de lettres la plus célèbre du monde". C'est un retentissement international qui montre qu'elle était devenue une véritable déesse des lettres. »

«À l'égal de Victor Hugo et Émile Zola»

La dame du Palais-Royal devient la première femme à avoir droit à des obsèques nationales. Preuve de sa stature à l’époque, selon Samia Bordji : « Colette va être célébrée à l'égal de Victor Hugo et Émile Zola. » Le 7 août 1954, la cour d'honneur du Palais-Royal accueille un catafalque drapé du drapeau français et paré de sa plaque de grand officier de la Légion d’honneur.

Une foule immense de 10 000 personnes rend hommage à la mère de Claudine, Minne, Mitsou, Chéri et tant d’autres. « C’est Paris tout entier, le Paris populaire, comme le Paris des lettres [...] qui est venu lui dire adieu », note le reportage des « Actualités françaises ». L’écrivain Roland Dorgelès prononce un discours à l’adresse de sa consœur de l’Académie Goncourt, dont il prend la suite à la présidence : « Ils sont tous là, chère Colette, dominants leur chagrin, pour être dignes de vous. [...] N’appelez plus, ils sont tous là, rassemblés coude à coude pour vous redire : “Adieu”. »

Cette kyrielle réunit les lecteurs de Colette, ses proches, parmi lesquels des célébrités comme Marlène Dietrich, Michel Simon, Jean Marais ou encore Joseph Kessel. De tous les hommages rendus, « Les Actualités françaises » en relèvent un : « Parmi les couronnes, la plus douce à son cœur fut sans doute celle du pays de son enfance dont elle garda toujours le souvenir. » À l’écran, une composition enrubannée sur laquelle est écrit : « Saint-Sauveur-en-Puisaye, à son illustre compatriote ». Un détail qui prête à sourire lorsque l’on connaît l’animosité qu'entretiennent alors les habitants du village natal de Colette à son égard.

Et pour cause. L’autrice les a caricaturés, parfois à peine anonymisés, dans son premier roman Claudine à l'école paru en 1900, largement inspiré de ses souvenirs d’enfance. « Quand Colette meurt, cette rancune est toujours présente et vivace, confirme Samia Bordji, mais une part des habitants est extrêmement fière d'avoir Colette comme compatriote et est consciente qu’elle a fait aimer et connaître Saint-Sauveur au monde entier. »

Un dernier scandale

Que serait Colette sans une ultime polémique ? Femme libre et audacieuse, l’autrice choque parfois l’opinion. Alors danseuse de music-hall au début du XXe siècle, elle se dénude ou embrasse sur scène sa compagne Missy, Mathilde de Morny de son vrai nom. « Suppose-t-on que la moralité de Paris soit tombée si bas qu’il puisse indéfiniment supporter des spectacles comme ceux l’on impose depuis trop longtemps à sa tolérance ? », peut-on lire le 4 janvier 1907 dans les colonnes du Figaro, qui rapporte une scène de « rixe » dans la salle du Moulin-Rouge. Le même jour, Le Petit Journal relate que « la marquise de Morny et Mme Colette Willy ont été sifflées et injuriées par le public ».

Capture d’écran Retronews.

Le Petit Journal, le 4 janvier 1907, rapporte le « scandale au Moulin-Rouge », causé par la pantomime Rêve d’Égypte, dans laquelle joue Colette.

Capture d’écran Retronews.

Le Petit Journal, le 4 janvier 1907, rapporte le « scandale au Moulin-Rouge », causé par la pantomime Rêve d’Égypte, dans laquelle joue Colette.

L'Église s’oppose donc à des funérailles religieuses pour l’autrice. « Le motif officiel, c'est que Colette avait été deux fois divorcée et qu’elle s’était éloignée de l’Église et de la religion catholique », reprend la directrice du Musée Colette. Mais l’affaire fait grand bruit dans la presse de l’époque. Pourtant, Colette n’avait pas réclamé de cérémonie religieuse pour ses obsèques. Elle repose au cimetière du Père-Lachaise à Paris, dans une tombe sans croix.

Quelques mois avant de s’éteindre, la femme de lettres, qui détestait écrire, évoque ainsi la mort, avec sa « voix inimitable riche de tous les sucs de sa Bourgogne », telle que la décrit le journaliste de la RTF dans cette dernière archive : « Tendre vers l’achevé, c’est revenir vers son point de départ, les vrais aventureux n’y reviennent pas. Mais, je ne vous cacherais pas plus longtemps que je n’ai rien de commun avec la véritable aventureuse. N’importe, je me serais toujours bien amusée en chemin ! »

Colette parle de sa mort
2024 - 02:08 - audio

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