LA COMMÉMORATION.
Le 25 novembre 1944, l'armée américaine libérait le camp de concentration du Struthof. Pour le 80e anniversaire de cette libération, Emmanuel Macron visite le 23 novembre le village de Natzwiller (Bas-Rhin). C'est là, à 800 mètres d'altitude sur les contreforts vosgiens, que se trouve ce qui reste du seul camp de concentration nazi érigé sur le territoire français, en Alsace alors annexée de fait par l'Allemagne. De fait, l'Alsace possède sur son sol l'un des camps de la mort nazi les plus meurtriers : le Struthof. Ce camp de concentration – appelé KL Natzweiler par les nazis – a été conservé pour le devoir de mémoire et se visite.
Au camp du KL Natzweiler et dans ses nombreuses annexes des deux côtés du Rhin, 52 000 personnes ont été emprisonnées entre 1941 et 1944 dans des conditions inhumaines. 17 000 d'entre elles y trouvèrent la mort, dont 3 000 dans le camp principal du Struthof. « 31 nationalités, dont 8 000 Français, ont été immatriculés au KL-Natzweiler. 40 % y sont morts, ce qui en fait, hors camp d’extermination, le camp le plus meurtrier avec Mauthausen », rappelait dans les pages du Figaro l’historien strasbourgeois Robert Steegmann, auteur de la thèse, Struthof. Le KL-Natzweiler et ses kommandos (La Nuée Bleue) en 2005.
Esclavagisme et expériences médicales
Découvert par l'armée américaine le 25 novembre 1944, le camp est désert. Les derniers prisonniers ont quitté les lieux quelques jours plus tôt pour être transférés au camp de concentration de Dachau.
Véritable camp de la mort, le Struthof possède depuis avril 1943 un bloc crématoire destiné à l'incinération des détenus assassinés par les SS ou morts d'épuisement dans les travaux. Le camp sert en effet de lieu de travail (d'esclavage) au profit des SS et de l'industrie de guerre nazie. Il abrite aussi les expérimentations médicales effectuées par les médecins nazis de l'université de Strasbourg, dont le professeur d'anatomie August Hirt. Ce dernier, tristement célèbre pour avoir été à l'initiative du gazage de 86 juifs sélectionnés à Auschwitz afin de recueillir leurs squelettes pour sa collection d'anatomie, utilise au Struthof des déportés tsiganes pour expérimenter une arme chimique de combat, le phosgène.
L'ARCHIVE.
Les prisonniers du camp tentent de survivre dans les conditions dictées par la barbarie nazie. Une horreur qu'évoquait en 1970, avec une émotion retenue, un ancien déporté mosellan, Roger Frey. Dans cette archive disponible en tête d'article, sur les lieux de sa captivité, il se souvient de son expérience de prisonnier pour l'émission « Alsace Panorama ». Parmi ses mots marquants, la description de son arrivée : « En arrivant ici, je me suis trouvé aux portes de l’Enfer. Nous avons été conduits à la douche, démunis de nos vêtements […], puis nous avons eu le crâne rasé […] On nous a ensuite tenu un petit discours en nous disant : "Vous êtes rentrés ici par la porte, mais vous n’en sortirez que par la cheminée". C’était tellement brutal sur le coup que je n’ai pas compris tout de suite la portée de ce qui m’arrivait. Mais en côtoyant d’autres détenus […] qui n’avaient que la peau sur les os, j’ai compris où nous étions tombés […] À notre arrivée, nous recevions un matricule. Ici, j'étais le 6802. »
Au cours de la même émission d' « Alsace Panorama », Jacques Granier, un journaliste des Dernières nouvelles d’Alsace, évoquait l’histoire de ce camp dont l’emplacement fut choisi en 1940 pour la présence d’un granit rose très rare que les Nazis convoitaient. Les baraquements furent installés par un premier convoi de 300 prisonniers de droit commun allemands, aidés par les prisonniers alsaciens du camp de Schirmeck. Un récit à découvrir ci-dessous.
Contexte historique
1970 - 03:14 - vidéo
En contrebas du camp de concentration du Struthof, dans la ville de Schirmeck, se trouvait en effet un autre camp, dont il ne reste plus rien aujourd’hui. Il ne s’agissait pas d’un camp de concentration, comme le disait avec imprécision Jacques Granier dans l'archive ci-dessus, mais d’un camp de sûreté, de redressement, pour les Alsaciens et Mosellans réfractaires au régime nazi, considérés par ce dernier comme assimilables, car non juifs.
Dans le camp, des hommes d'une trentaine de nationalités se côtoient, avec une majorité de Polonais, Russes et Français. Juifs, tsiganes, homosexuels, témoins de Jéhovah, détenus de droit commun et à partir de juin 1943, les « Nacht und Nebel », les déclassés « Nuit et Brouillard » destinés à disparaître, affectés aux tâches les plus rudes, ceux qui meurent le plus rapidement. Le nombre de NN qui ont été immatriculés au camp entre juin 1943 et fin août 1944 se situe autour de 2500. (chiffres cités par Robert Steegmann, professeur agrégé d'histoire dans son article Nacht und Nebel : destinés à disparaître sans laisser de trace).
Nécropole nationale et lieu de mémoire
Jusqu'en 1949, le camp servit de site d'internement de collaborateurs, puis de centre pénitentiaire, avant de devenir un lieu de mémoire et de recueillement. La plupart des présidents de la Ve République sont passés à Struthof. Le 23 juillet 1960, le général de Gaulle y inaugurait un Mémorial. Le 29 juin 1980, à l'occasion du 35ème anniversaire de la libération des camps de déportation nazis, le président Valéry Giscard D'Estaing et le Premier ministre Raymond Barre assistaient aux commémorations au camp de Struthof. Le 28 avril 1985, à l'occasion du quarantième anniversaire de la libération des camps de concentration, François Mitterrand présidait une cérémonie au camp de Struthof.
Le 3 novembre 2005, pour le soixantième anniversaire de la libération du camp, le président de la République Jacques Chirac, accompagné de Simone Veil, inaugurait sur les lieux le Centre européen du résistant déporté (CERD). L'occasion pour lui de prononcer un discours adressé aux jeunes générations : « C'est le message que je veux adresser aux plus jeunes, souvenez-vous toujours, n'oubliez jamais les victimes des temps les plus sombres de l'histoire des hommes. Combattez sans relâche ceux qui prônent en France ou dans le monde, la haine, le racisme, l'antisémitisme, l'intolérance. »
La plupart des baraquements ont été démantelés, mais leur emplacement est matérialisé au sol. Les visiteurs peuvent se recueillir dans les bâtiments du four crématoire, de la prison et, en contrebas, de la chambre à gaz, et parcourir les allées de la nécropole nationale, où sont inhumés plus d'un millier de déportés. L'ancien camp nazi français est visité chaque année par plus de 200 000 personnes.